Il y a quelques temps, j’entendais à la radio lors d’une émission sur le végétarisme, le témoignage d’une jeune femme qui rendait compte du processus qui l’avait conduite à cesser de manger de la viande : elle disait avoir souvent entendu des personnes parler de leur expérience de végétariens, avoir vu des images d’abattoir sans que rien de ceci n’ait jusque là suscité de véritable prise de conscience et encore moins de changement de comportement de sa part. Et puis un jour, en se plongeant dans la lecture d’un écrit « poétique » (vous notez la présence des guillemets, n’est-ce pas ?) sur la question, elle a été tellement bouleversée que cela a marqué un tournant dans ses habitudes alimentaires… La beauté du texte avait rendu réelle une question qui n’était jusque là qu’un concept ou une idéologie.
Ce témoignage m’a réellement inspiré au cours de ces derniers mois : il est soudainement entré en résonance avec mes propres questionnements autour de l’utilité de l’art, dans un monde bien mal en point où l’on s’interroge sur la pertinence de créer, alors qu’il semble qu’il y aurait des actions autrement plus urgentes ou prioritaires à mener (ceci étant évidemment directement en lien avec ma propre activité de créatrice).
J’ai toujours été particulièrement sensible à la littérature parmi les nombreux « arts » auquel nous avons la chance d’avoir accès dans notre pays et cette dernière année, j’ai eu une façon un peu particulière de choisir mes lectures, me laissant inspirer en traînant dans les travées de ma bibliothèque, saisissant des livres mis en avant ou bien grâce à leur couverture particulièrement jolie ou encore affichant un titre interpellant. C’est donc par hasard que j’ai un jour attrapé le livre qui apparait en couverture cet article : « No Home » (« Homecoming » de son titre original) de Yaa Gyasi.

Il s’agit de l’histoire de deux jeunes femmes ghanéennes au temps de la traite des esclaves, l’une d’elles mariée de force au capitaine d’un fort d’où sont « expédiés » les esclaves vers les futurs Etats-Unis, l’autre étant elle-même une de ces esclaves. Le récit se déroule sur plus deux siècles et chaque chapitre raconte un épisode de la vie d’un des descendants de ces deux femmes.
Il s’agit de l’histoire de deux jeunes femmes ghanéennes au temps de la traite des esclaves, l’une d’elles mariée de force au capitaine d’un fort d’où sont « expédiés » les esclaves vers les futurs Etats-Unis, l’autre étant elle-même une de ces esclaves. Le récit se déroule sur plus deux siècles et chaque chapitre raconte un épisode de la vie d’un des descendants de ces deux femmes.
Et c’est là que la magie opéra : outre la thématique grave de l’ouvrage qui peut difficilement laisser indifférent, la qualité de l’écriture de Yaa Gyasi, son talent de conteuse mais aussi son honnêteté quant aux responsabilités de ceux impliqués dans la traite des Noirs (beaucoup, beaucoup de blancs, cela va sans dire et aussi quelques tribus ou individus autochtones), sa sensibilité et sa subtilité évitant les écueils d’une vision simpliste de l’Histoire, tous ces éléments m’ont cueillie.
Il faut dire qu’au même moment, un débat agitait la communauté du tricot à laquelle j’appartiens, rendant visible certaines injustices et inégalités. Si j’ai parfois eu du mal à entendre certains arguments ou même à comprendre les déclarations de certaines personnes dans ce contexte, « No Home » a été un guide. Ce livre m’a permis d’embrasser un peu de cette histoire, de saisir une partie des mécanismes à l’oeuvre quant à la question du racisme notamment, de toucher du doigt une réalité qui me dépasse, en un mot, de faire preuve d’empathie.
Et si la littérature, voire même l’art au sens large, si un de leurs objectifs était justement de créer cet espace pour permettre aux questions d’émerger, aux mentalités d’être bousculées, d’être, en somme, un outil de transformation de notre vision du monde ou du moins, de mise au travail ?…
Je suis peut-être naïve (ou lente), et peut-être que cela a toujours été le but de ce que nous appelons Art (et que je ne l’avais jusqu’ici jamais discerné avec une telle clarté) : dire l’Humanité, en mots, en sons, en mouvements, en images, en textures ou en couleurs… Créer des ponts entre des êtres aussi différents que singuliers, proposer parfois un langage commun, tendre des miroirs, raconter des histoires, tisser des liens, tracer des contours, se confronter et débattre, dessiner des frontières et choisir de les franchir, poser des limites et les tenir.
Ici, dans cet espace, chacun peut, à sa manière, en mots, en sons, en mouvements, en images, en textures ou en couleurs… offrir sa part au monde.
Être. Créateur. D’art.
